Allocution d’ouverture de Madame Rahma BOURQIA Présidente du Conseil de l’Assemblée générale

30 avril 2025


Mesdames et Messieurs, Membres du Conseil Supérieur de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique

 

Permettez-moi, en ouverture des travaux de cette session, de vous souhaiter la bienvenue et de vous dire en toute sincérité, combien je suis fière de travailler au sein du Conseil aux côtés d’éminentes compétences de notre cher pays, établies tant au Maroc qu’à l’étranger.

J'ai eu l'insigne honneur d'être investie de la confiance de Sa Majesté le Roi pour assumer, dans le cadre du processus naturel d'alternance à la tête des institutions, la présidence du Conseil Supérieur de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique ; l’objectif étant que ce dernier accompagne la dynamique du système d’éducation, de formation et de recherche scientifique en cours dans notre pays. Nul besoin à ce propos de rappeler la sollicitude constante de Sa Majesté le Roi envers les questions de l’école, tous niveaux confondus, une sollicitude qu’il ne cesse d’affirmer dans ses différents discours, soulignant la nécessité de promouvoir le système éducatif pour qu’il assure la formation des citoyennes et citoyens marocains et qu’ils et elles puissent, à leur tour, participer activement à l’essor civilisationnel de notre pays et à son rayonnement dans le concert des nations.

Le passage de relais à la tête des institutions est un processus naturel. Quiconque s’est vu confier la responsabilité de présider le Conseil ne peut donc qu’en mesurer le poids, et le devoir qui lui échoit de contribuer à la promotion de cette institution, au meilleur service de l’école et en veillant à placer l’intérêt de l’apprenant au-dessus de toute autre considération.  Dans ce contexte, je tiens à rappeler l’effort accompli par le professeur Habib El Malki durant la période où il a présidé ce Conseil.

Je suis honorée d’assumer la présidence de cette institution constitutionnelle, à la suite de présidents qui ont marqué de leur empreinte le Conseil. Je citerai ici feu Abdelaziz Meziane Belfkih, le professeur Omar Azziman et le professeur Habib El Malki.

Quiconque a pu prendre connaissance de leur action et des services qu’ils ont rendus à cette institution ainsi qu’au système éducatif dans son ensemble, mesure pleinement l’ampleur de leur contribution, la valeur de leur engagement et leur patriotisme indéfectible au service de l’intérêt général.

J'ai eu l'occasion avant aujourd’hui d’accompagner le Conseil : d'abord en tant que membre de l'instance délibérative durant le mandat de feu Abdelaziz Meziane Belfkih, puis, à une étape ultérieure, en tant que directrice de l'Instance nationale d'évaluation sous la présidence de Monsieur Omar Azziman. Avec lui, je partageais le souci de veiller à l'efficacité de cette institution, à un moment où l’éducation dans notre pays opérait un tournant décisif, nécessitant la mobilisation des idées et des compétences pour atteindre les objectifs escomptés, après que l’application de la Charte nationale d’éducation et de formation ait, dans une certaine mesure, connu des difficultés à réaliser le saut qualitatif attendu de la réforme.

Les efforts consentis alors, ont abouti à l’établissement des fondements d’une réforme globale du système éducatif ; une réforme incarnée par la Vision stratégique de la réforme 2015-2030 et par la loi-cadre 51-17. Cela exige aujourd'hui, dans le même esprit, d'accélérer la mise en œuvre de l'ensemble des dispositions de cette réforme dans le délai qui lui est imparti.

 

Mesdames et Messieurs les Membres,

 

La force et la richesse du Conseil résident dans la composition de son collège de membres, une élite d’acteurs et d’experts nationaux qui contribueront sans nul doute, à assurer un suivi vigilent et responsable du système éducatif, grâce à leur expertise, leurs connaissances et leur attachement indéfectible à défendre les enjeux de l’éducation de nos enfants. Il s’agira ainsi d’approfondir la réflexion, d’émettre des avis en auto-saisine ou en réponse à des saisines reçues, de réaliser des études, des évaluations, de formuler des recommandations… sur des questions essentielles et structurelles ayant un impact déterminant sur la promotion du système d’éducation, de formation et de recherche scientifique.

 

Pour ce faire, il n’y a pas d’autre voie pour réussir notre mission que de conjuguer la capitalisation des acquis et l’impulsion d’une dynamique nouvelle qui tienne compte des enjeux du moment, en faisant preuve de créativité et d’innovation.

Notre institution est une entité constitutionnelle dont les missions et les prérogatives sont définies dans la Constitution et la loi. Dans le cadre de ce périmètre, elle se doit d’appliquer le principe d’objectivité, avec bienveillance mais sans jamais céder à la complaisance ; ce principe doit d’ailleurs s’appliquer à tous les travaux du Conseil, études, évaluations et avis sur le système d’éducation, de formation et de recherche scientifique. Le rôle du Conseil est aussi de fournir à toutes les composantes du système éducatif toutes propositions qu’il juge pertinentes et utiles, de même qu’il se doit d’informer la société objectivement sur l’état de son école et de son université.

Atteindre les résultats positifs escomptés de l’action de toutes les institutions ne peut se réaliser sans une véritable complémentarité entre l’intervention du Conseil et celle des départements ministériels en charge de l’éducation, la formation et la recherche scientifique. Cette convergence doit s’inscrire dans la durée, au service d’un objectif commun, à savoir produire un impact positif sur l’évolution de l’école, de l’université et des établissements de formation professionnelle.

 

Mesdames et Messieurs,

 

L’histoire récente de l’éducation et de la formation nous enseigne que la mise en œuvre effective des réformes peut être un processus lent, ponctué de ruptures qui mettent parfois à l’épreuve notre détermination et notre confiance dans la réforme. Les causes de cet état de fait ont été maintes fois identifiées dans divers rapports. Cette réalité nous interpelle de manière pressante à intégrer dans nos réflexions et préoccupations, d’une part les propositions de réforme et, d’autre part, la réflexion sur les mécanismes nécessaires à leur réussite et à la réduction des délais de leur mise œuvre, ainsi que ceux relatifs à la gestion du changement, en nous appuyant sur la loi-cadre, qui constitue le référentiel normatif de la réforme.

Cependant, autant la Vision et la loi définissent clairement ce à quoi nous aspirons pour notre système éducatif et autant nous sommes conscients de ses faiblesses, autant nous faisons face à des difficultés réelles pour accélérer les réformes et mobiliser l’ensemble des forces vives autour de celles-ci, dans un monde en perpétuelle transformation qui met à l’épreuve les systèmes d’éducation et de formation.

Chaque acteur du système éducatif doit garder à l’esprit que bon nombre de familles aspirent à éduquer et à instruire leurs enfants, car sont convaincues que l’éducation est un instrument clé de promotion sociale.  Aujourd'hui, plus que jamais, l’heure est à une prise de conscience historique, en vertu de laquelle l’ensemble des acteurs du système d'éducation et de formation doivent se mobiliser en faveur de l'amélioration de notre système éducatif, car il s’agit du destin de nos générations actuelles, celles qui conduiront notre pays vers l'avenir.

On peut dire que les résultats de notre système éducatif sont porteurs de paradoxes, illustrés par deux phénomènes contradictoires :

  • Le premier a trait au fait que notre système éducatif produit des diplômés brillants, pourvus d’un niveau d'éducation et de formation comparable à celui des meilleurs systèmes éducatifs internationaux. Il permet à certains titulaires du baccalauréat d’intégrer les universités et les grandes écoles les plus prestigieuses au monde. En outre, les chercheurs marocains, lauréats de notre système éducatif, se distinguent dans diverses disciplines scientifiques au sein de laboratoires et d'universités étrangères. Cela nous rappelle que notre système éducatif recèle un potentiel remarquable et qu’il est en mesure de produire l'excellence.
  • Le deuxième phénomène, mis au jour par des études, des évaluations rigoureuses et de nombreux travaux de recherches, tant nationaux qu'internationaux, se manifeste par le problème du redoublement, qui touche une portion significative d'élèves, dont un nombre non négligeable finit par décrocher. Ces victimes de l’abandon scolaire se retrouvent hors du système éducatif, sans avoir achevé l'enseignement fondamental, ni bénéficié des programmes éducatifs du secondaire collégial et qualifiant et sans avoir acquis les compétences essentielles à leur intégration professionnelle et sociale.

Le défi auquel fait face la réforme consiste à réduire progressivement la part des élèves touchés par l’abandon scolaire jusqu’à éradiquer ce phénomène qui alimente l'analphabétisme, la vulnérabilité et la pauvreté matérielle et intellectuelle. Il constitue également un frein à toute dynamique de mobilité sociale dans notre pays.

Cette réalité nous impose d’identifier les manifestations du décrochage scolaire au sein du système éducatif, afin de les cibler par des réformes profondes et durables. Nous savons que le ministère de tutelle s’attèle à résoudre cette problématique à travers l’expérience pilote des écoles pionnières, visant à réduire le redoublement et l'abandon scolaire.

Nous sommes ainsi appelés à aborder la prochaine étape comme un moment charnière pour acter le changement, approfondir et accélérer les réformes fondamentales, tout en développant des mécanismes innovants de mise en œuvre. Une telle démarche exige de cibler les aspects structurels, car le temps de la réforme est désormais épuisé et la notion même de réforme tend à perdre de sa signification.

Il apparaît essentiel de prendre pleinement conscience du fait que l'éducation, la formation et la recherche scientifique, dans tous les pays du monde, sont en perpétuelle évolution. Elles se renouvellent continuellement, car le développement s’impose comme une nécessité face aux mutations qui touchent les sciences de l'éducation, les théories de l'apprentissage, les connaissances scientifiques, ainsi que les défis engendrés par chaque phase de transformation de la société et du monde. Cela exige des institutions concernées et de chaque acteur dans le domaine de l'éducation et de la formation, d’accompagner ces changements avec une vigilance continue, en optant pour un modèle éducatif innovant, capable d’impulser une véritable transformation qualitative du secteur.

Des projets pilotes sont bien entendu en cours actuellement, mais leurs résultats ne pourront être pleinement évalués qu’après leur généralisation et leur mise en œuvre effective sur le terrain. Cette phase requiert de l’ensemble des institutions engagées dans les domaines de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique, en dépit de la diversité de leurs missions, une mobilisation collective pour promouvoir ces domaines et réussir la transformation souhaitée, celle en mesure d’induire un impact tangible sur les points faibles du système éducatif.

Les mécanismes de concertation sur les modalités de mise en œuvre des dispositions de la loi-cadre doivent également être activés car, quelles que soient la portée et la pertinence d’un texte de loi, son application exige une vision claire et une réflexion approfondie afin d’éviter tout retard ou hésitation.

Il convient ici de rappeler, à la lumière des orientations royales, les propos de Sa Majesté le Roi, notamment dans son discours du 20 août 2012, où Il a affirmé que: " Parler des jeunes, c'est évoquer les défis du présent et aborder les perspectives d'avenir..." Ce discours, prononcé en 2012, se révèle d’une grande portée visionnaire et résonne aujourd'hui avec une acuité particulière face à l’accélération du progrès scientifique et technologique. Ce dernier nous invite à réfléchir à la révolution du XXIe siècle, qui entraine dans son sillage des défis émergents auxquels nous devons faire face dans les domaines de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique.

 

Mesdames, Messieurs, Membres du Conseil,

 

Le progrès scientifique et technologique dans le domaine des neurosciences et de l'intelligence artificielle, et les nouvelles problématiques qu'ils soulèvent auront un impact sur les approches et contenus destinés à l’éducation des jeunes dans le monde moderne. Face à cette évolution rapide, une question essentielle s’impose : comment pouvons-nous préparer la nouvelle génération à vivre avec la révolution numérique et l'intelligence artificielle, en lui inculquant une formation et une éducation numériques ?

Toute une génération de nos enfants vit à l’heure de cette révolution numérique, et utilise assidûment les diverses plateformes, sans bénéficier au préalable d’une éducation numérique qui pourrait leur fournir les compétences nécessaires à l’exercice d’une citoyenneté numérique éclairée et responsable.

Le développement technologique, les médias sociaux et l'intelligence artificielle ne sont pas seulement des outils de communication et de recherche ; ils constituent également des vecteurs de transformation qui influencent en profondeur les modes de pensée, les capacités cognitives de l’individu et exercent un impact évident sur son comportement.

Cette révolution technologique a fait irruption alors même que notre système éducatif, était engagé dans un processus de réforme. Les adolescents et les jeunes ont accédé à un monde virtuel qui échappe à toute régulation, sans cadre juridique clair ni repères éthiques établis. Cela nous amène à interroger la manière dont l’école va éduquer les nouvelles générations, afin de les accompagner dans cette transition, sans risques ni dommages. Nous savons qu'une génération entière vit aujourd'hui dans le monde numérique au quotidien, ce qui soulève la question du rôle de l’éducation et de la formation et de leur capacité à accompagner cette transformation, en offrant une éducation nouvelle et en constante évolution.

Dès qu'un adolescent ou un jeune entre dans l'univers des réseaux sociaux, comme Facebook, TikTok ou d'autres plateformes et qu'il acquiert la capacité de naviguer en ligne, il peut rapidement se retrouver happé par une forme de dépendance. Il évolue par la suite dans un monde non régulé, où il lui est difficile de comprendre les phénomènes auxquels il est exposé, et où il peut ne pas être en mesure d’en évaluer la gravité, la portée ou la pertinence.

Dans le domaine de l'éducation, nous sommes appelés à prendre conscience d'une nouvelle réalité, qui tend à être ambiguë parfois. En effet, nous assistons à une transformation majeure liée à l'impact des médias sociaux sur les capacités de réflexion d'une génération qui n'a pas été préparée à appréhender les enjeux du numérique. De plus, les institutions éducatives n'étaient pas suffisamment outillées pour comprendre l'effet de ces médias sur les jeunes, ni sur les relations sociales. Il est donc devenu impératif d'intégrer l'éducation à la résilience numérique dans notre système éducatif.

Il semble que les progrès technologiques défient la capacité de notre système éducatif à suivre le rythme, en raison de la fréquence des découvertes rapides, parfois étonnantes, et de leur impact sur le domaine de l'éducation. Il ne suffit pas de multiplier les discussions sur l’intelligence artificielle lors des forums, ni que les élèves et les étudiants sachent simplement utiliser "ChatGPT" mais il est nécessaire que les apprenants prennent conscience de l’importance de la formulation des questions, cultivent leur esprit critique, perfectionnent leurs compétences rédactionnelles et maîtrisent les langues de manière optimale.

Si le système éducatif ne prend pas en compte cette réalité, le monde numérique finira inévitablement par engendrer des individus déconnectés de la réalité, sans repères ni règles, ayant créé leur propre monde et défini ses lois.

Il convient ici de préciser qu'il ne s'agit pas d'un appel à une éducation pour l'avenir, mais d'une éducation qui vise le présent. En effet, la rapidité de l'évolution technologique numérique impose aux systèmes éducatifs, qui peinent à suivre cette transformation rapide, de s’adapter non seulement sur le plan des infrastructures, mais aussi à travers l’instauration d’une véritable culture numérique, en phase avec les besoins éducatifs des jeunes qui évoluent quotidiennement dans l’espace digital.

Il n'est plus possible d'éduquer une génération avec les contenus, les outils et les curricula d’un autre temps, car cette génération vit dans un présent défié par l'avenir. De même, il n'est pas possible de traiter l'éducation d'une génération entière, immergée dans l’univers des réseaux sociaux, à travers des savoirs et des programmes qui ignorent que la navigation sur les plateformes numériques ne leur fournit pas, à elle seule, les clés pour agir de manière éclairée. Ces clés ne peuvent être acquises qu’à l'école et à l'université.

Ainsi, il ne suffit pas d’aborder le numérique sous l'angle de la simple utilisation technique, ni de l’introduire ponctuellement dans les cours, ou encore se limiter à recommander l'utilisation du tableau numérique en classe. En réalité, il faut accompagner les réformes éducatives d'une nouvelle révolution culturelle numérique, qui permette aux jeunes de développer une maîtrise critique de leur interaction avec le monde numérique — une compétence essentielle que l’élève acquiert au sein même de l’école.

Il est devenu impératif de comprendre que l'éducation repose désormais sur une nouvelle culture, fondée sur la reconnaissance d’une crise profonde de l’éducation et du savoir, noyés dans le flot d'ignorance charrié par les réseaux sociaux dans l'espace numérique. Cette crise s'aggrave dans les sociétés où le système éducatif peine à mener à bien les réformes nécessaires pour s'adapter à une réalité en mutation rapide, dont la vitesse dépasse l'impact même de ces réformes.

Je sais que le Conseil dispose de hautes compétences, je parle ici des membres et des cadres de son administration. Il nous revient de mobiliser pleinement cette expertise et cette intelligence collective pour formuler des idées innovantes, qui permettront au Conseil d’exercer pleinement son rôle de suivi et d’accompagnement du système national d’éducation, de formation et de recherche scientifique, conformément à son statut constitutionnel.

De plus, ses cadres en charge de l'évaluation, de la recherche et de la gestion sont parfaitement qualifiés pour soutenir l'efficacité du Conseil. Il ne fait aucun doute qu’ils constituent un pilier essentiel de son action et qu'ils continueront à s’investir pleinement afin que nous puissions, collectivement, atteindre les objectifs fixés.

 

Mesdames et Messieurs les Membres,

 

Notre assemblée générale se penchera, dans un instant, sur deux sujets, d'une importance capitale, inscrits à son ordre du jour :

 

  • Le premier porte sur la présentation des résultats et des conclusions de l'évaluation des écoles pionnières un travail d'évaluation réalisé par l’Instance nationale d'évaluation auprès du Conseil.
  • Le second concerne le projet de création d'un « Groupe de travail spécial» chargé de se pencher sur la question de la formation continue.

 

Mesdames et Messieurs les Membres,

 

Je forme le vœu que les travaux de notre assemblée générale s’inscrivent dans la continuité des réussites qui font la réputation de notre Conseil. Unis par un esprit d’équipe solidaire, nous contribuerons à faire rayonner l’action de cette institution constitutionnelle, en veillant à l’excellence de ses productions, guidés par la volonté constante de servir l’intérêt de l’apprenant et de participer à la construction d’une école en phase avec son époque.

 

Je vous remercie de votre attention.